« En caravane, allons à la cabane, Oh ! et ho ! On n’est jamais de trop pour goûter au sirop. Pour goûter au sirop, d’érable… »
Ce chant d’Albert Viau a bercé mon enfance. Jadis, mon père possédait une érablière et chaque printemps c’était une coutume d’organiser pour les voisins et les parents, une fête à la tire durant la saison. Nous, les enfants, y allions après l’école, bien entendu. Il restait bien quelque chose à déguster… jusqu’à satiété…
Les produits de l’érable ont été mis en valeur dès l’arrivée des Français en Amérique au XVIIème siècle. Il faut dire que les Premières Nations avaient découvert par un heureux hasard le goût sucré de l’eau d’érable et la manière artisanale de la recueillir et la transformer en délicieux sirop par plusieurs heures d’ébullition.
D’année en année, la cueillette de l’eau d’érable et sa transformation ont évolué grandement, tant dans la manière de recueillir l’eau, de l’acheminer au réservoir et de la réduire en sirop, en tire ou en sucre. Il fallait «entailler» l’arbre, introduire un chalumeau et accrocher une chaudière pour recueillir le précieux liquide. Ensuite, on devait «courir les érables», c’est-à-dire chausser les raquettes pour marcher sur la neige abondante, recueillir l’eau, la verser dans un tonneau et l’acheminer vers le grand réservoir de la «cabane à sucre» à l’aide d’un bœuf ou d’un cheval. Puis, on «faisait bouillir», ce qui durait de longues heures jusqu’à l’obtention du délicieux sirop que l’on coulait à l’aide d’épais sacs de feutre dans les larges contenants destinés à la vente.
Le sirop en bouillant plus longtemps devenait la tire, que l’on épandait sur la neige et dégustait à l’aide d’un bâtonnet de bois. Une plus grande cuisson produisait le sucre, que l’on versait dans des moules pour le faire refroidir.
Les cabanes rudimentaires ont vite fait place à la «sucrerie» comme celle où mon père opérait dans mon enfance. Elle comprenait une grande salle avec une table et quelques chaises. Quelques instruments de cuisine et de la vaisselle en granit étaient rangés sur des tablettes rudimentaires avec les moules pour faire des cœurs en sucre et des pains de sucre. Un évaporateur avait remplacé le chaudron de fonte des Amérindiens. Du bois de chauffage était empilé à proximité. Sous les combles un immense réservoir accessible par l’extérieur conservait l’eau sucrée en attendant qu’on la fasse bouillir. C’était un travail laborieux, mais valorisant.
Lorsque la récolte était abondante, les «sucriers» passaient la nuit à surveiller la production pour ne rien perdre. Mon père engageait un neveu pour l’assister lorsque la coulée donnait son plein rendement. Mes trois frères aînés se rendaient utiles le samedi, surtout pour la cueillette de l’eau d’érable et rentrer le bois de chauffage. Ma mère s’y rendait au début de la saison, pour laver le matériel : chaudières de fer blanc, chalumeaux, casseroles, théière, etc. et apporter des victuailles pour les ouvriers…
À la fin d’avril, elle remettait tout en ordre et lavait le plancher de bois franc qui reprenait sa couleur d’origine. Et l’on fermait le tout jusqu’à la prochaine saison des sucres.
La production du sirop d’érable dépend en grande partie de la température. Lorsque les premières corneilles annoncent le printemps, il est temps d’entailler ou de reconnecter la tubulure. Un érable peut donner entre 60 et 160 litres de sève par année selon le climat. La sève coule plus abondamment si des nuits froides laissent place à des journées ensoleillées ou le mercure est un peu au-dessus du point de congélation. Les tempêtes de la fin mars ont aussi une influence sur les arbres qui coulent davantage. Les bancs de neige rendent toutefois la cueillette plus difficile.
Le Québec compte 144,000 hectares d’érables et fournit plus de 83 % de la production mondiale de sirop d’érable. Le reste provient de l’Ontario et de la Nouvelle-Angleterre aux U.S.A.
La migration des oies ou des outardes vers le nord, marque la fin de la saison.
Depuis 1970, la cueillette de l’eau d’érable se fait au moyen de tubulures sous vide, reliées à des tuyaux qui déversent le précieux liquide dans le réservoir. On ne perd rien, à moins que les écureuils ne coupent les tuyaux de plastique pour s’abreuver… Les évaporateurs sont équipés de thermomètres et de contrôle d’arrivée de l’eau. Le rendement est meilleur. Selon sa couleur, le sirop, certifié biologique, est classifié en : clair, moyen, ambré ou foncé. Il faut 40 litres d’eau d’érable pour produire un litre de sirop, car l’eau d’érable ne contient que 2 ou 3 % de sucre.
Le sirop d’érable est maintenant un produit commercial reconnu internationalement.
Le territoire compte trois types d’érables, dont l’érable à sucre, (acer sucrarum) l’érable rouge, (acer rubrum) et l’érable noir, (acer nigram) qui servent à faire le sirop. Les autres variétés d’érables servent plutôt à l’ornementation.
Un arbre doit avoir une quarantaine d’années pour être productif. Une bonne érablière compte entre trois mille et cinq mille érables. Les producteurs surveillent jalousement leur érablière, pour déceler tout ce qui peut nuire à la croissance et la santé des arbres. Les arbres malades ou secs sont récoltés pour en faire du bois de chauffage.
Depuis 1980, les cabanes à sucre sont commercialisées et offrent de plantureux repas la saison venue. Le menu est composé de soupe aux pois, de fèves au lard, de jambon, d’œufs, d’oreilles de crisse, (grillades de lard salé) de tire sur la neige et de bonbons à l’érable.
Après le repas, des danses folkloriques aident à la digestion. Vive le temps des sucres !
L’Abitibi n’a pas un climat favorable à la croissance des érables. Ce fut un grand deuil pour mon père lorsque nous y sommes déménagés en 1945. Il fallait espérer que les visiteurs et visiteuses «de par en bas» nous apportent le précieux sirop et quelques pains de sucre. Ma mère essayait de compenser en fabriquant un succédané, appelé «sirop de poteau», composé de sucre brun, d’eau et d’essence d’érable. Cela ne trompait personne…
En cette année où nous réfléchissons sur la biodiversité et toutes les créatures qui rendent gloire au Dieu Créateur, pensons à le remercier, à le louer pour les richesses de la création, particulièrement pour le délicieux sirop d’érable. Nous aussi, selon nos moyens, prenons soin de la création en respectant et en protégeant la planète selon nos capacités et chantons :
«Toutes les œuvres du Seigneur, bénissez le Seigneur ! À Lui, haute gloire, louange éternelle !»
Marie-Paule Laflamme, sscc, Amos-Canada